vendredi 19 octobre 2012

Article de la Liberté

La lutte contre le pillage s’organise
ARCHÉOLOGIE • Les détecteurs de métaux sont à la mode et de nombreux sites internet stimulent la prospection sauvage. Le canton de Fribourg réagit en soumettant la pratique à autorisation sur tout son territoire.

Pour certains, c’est un hobby mais pour les archéologues il s’agit la plupart du temps d’un pillage en règle. La prospection archéologique de loisirs est en plein essor, notamment grâce à internet, qui permet d’échanger ses découvertes avec d’autres prospecteurs sur des forums, de se procurer pour quelques dizaines de francs un détecteur de métaux ou encore de vendre sous le manteau des pièces de monnaies anciennes ou autres objets de valeur.
Afin de lutter contre ce marché noir archéologique, le canton de Fribourg a fait entrer en vigueur au 1er octobre une ordonnance modifiant le règlement d’exécution de la loi sur la protection des biens culturels (LPBC). Auparavant, l’utilisation de détecteurs de métaux n’était soumise à autorisation que sur les périmètres des sites archéologiques.

«C’est comme un jeu»
Désormais, les prospecteurs devront demander une autorisation, à renouveler chaque année, au Service archéologique pour jouer de leur «poêle à frire» sur l’ensemble du territoire fribourgeois. «C’est un peu comme un jeu. Il y a une certaine excitation à partir à la recherche de vieux objets. Internet permet de partager avec d’autres nos découvertes et de s’échanger des astuces», raconte un prospecteur fribourgeois qui désire rester anonyme. Et d’avouer que dans le milieu de la prospection on trouve de plus en plus de jeunes gens, parfois peu respectueux ou tout simplement mal informés sur les dégâts qu’ils peuvent causer. «Pour certains, le but est d’amasser des objets et d’avoir la plus belle collection possible.»

De graves conséquences
Selon Carmen Buchillier, archéologue cantonale fribourgeoise, ce type de comportement est en plein essor, non seulement en Suisse, mais dans toute l’Europe. «Pour les gens, c’est une passion. Quoi que l’on fasse, ils vont prospecter. Avec ce nouveau régime d’autorisation, nous voulons encadrer la pratique et responsabiliser les gens.» Et d’ajouter que les prospecteurs qui font une demande d’autorisation ne sont que la pointe de l’iceberg. «Il est impossible actuellement de savoir combien de personnes s’adonnent à ce loisir en réalité», déplore l’archéologue cantonale.
La question de la protection du patrimoine archéologique est brûlante. En 2011, un colloque a réuni à Genève différents services archéologiques et musées de Suisse, de France et d’Italie sur le thème de la sauvegarde des patrimoines régionaux. «Le constat est partout le même. Le phénomène s’amplifie à grande vitesse», résume Carmen Buchillier. Plus récemment encore, l’affaire Christian Varone a défrayé la chronique. Le commandant de la police valaisanne a été arrêté par la police au retour de vacances avec sa famille à Antalya, en Turquie. Il avait emporté un caillou ramassé à proximité d’un site archéologique. Une histoire qui illustre le climat tendu qui entoure la protection du patrimoine sur le plan international également.
Faire son petit marché archéologique dans la nature peut en effet avoir de fâcheuses conséquences. Les trous creusés pour extraire les objets détruisent les couches archéologiques et donc le contexte archéologique véritable. Les objets ainsi exhumés se dispersent dans les collections privées et se retrouvent parfois en vente sur internet. Sans compter la perte d’information liée au lieu de découverte et donc l’appauvrissement de la carte archéologique. I

Comment réagir si l’on fait une découverte?
Et si le promeneur du dimanche – ou le prospecteur armé de son détecteur – déterre un objet apparemment ancien, comme une pièce de monnaie, une pointe de lance ou encore des fragments de poterie, que doit-il faire? Le premier réflexe, en cas de découverte archéologique est de laisser intacte la zone où l’objet a été trouvé. Au besoin, il peut valoir la peine de la protéger. Ensuite, il convient d’informer immédiatement le Service archéologique cantonal.
«Le site archéologique de Châtillon-sur-Glâne a d’ailleurs été découvert par un prospecteur responsable», illustre Carmen Buchillier, archéologue cantonale fribourgeoise. «Il n’est pas rare que des tiers nous signalent la présence de vestiges antiques lors de travaux, comme ce fut le cas à Chiètres en 1995 ou, plus récemment, à l’occasion de travaux de construction d’une villa, en mai dernier à Chavannes-sous-Orsonnens», se réjouit l’archéologue.
A qui appartiennent les objets archéologiques? Les objets mobiliers, qui ont été mis au jour lors de fouilles, deviennent propriété de l’Etat et son protégés. Les objets archéologiques immobiliers appartiennent au propriétaire du fond sur lequel ils ont été mis au jour, sauf s’ils doivent être déplacés en vue de leur protection.
Quant aux trouvailles fortuites, elles deviennent également la propriété de l'Etat pour autant qu'elles offrent un intérêt scientifique considérable, selon le Code civil suisse. «Ce qui est prioritaire pour le Service archéologique dans l’exécution de son mandat n’est pas de faire une collection d’objets, mais bien de connaître le contexte de la trouvaille et d’établir la carte de l’occupation du canton de Fribourg au cours des siècles», explique Carmen Buchillier.

Les amendes sont dans l’air
Devant ce phénomène qui prend de l’ampleur, le canton de Fribourg songe à distribuer des amendes aux contrevenants. «Pour l’heure, il n’y a pas eu de procédure qui a donné lieu à une amende à Fribourg, mais on va y venir», assure Carmen Buchillier, archéologue cantonale. Les cantons voisins, eux, sont déjà passés à l’action. Dans le canton de Berne, qui soumet à autorisation la prospection sur l’ensemble de son territoire, une procédure est en cours concernant un prospecteur qui a découvert des pointes de lances dans la région de Thoune et qui a tenté de les écouler sur un site internet de vente.
Dans le canton de Vaud, une procédure similaire est en cours pour des bracelets proto-historiques découverts au pied du Jura. «Nous avons déjà dénoncé des prospecteurs sans autorisation et distribué des amendes», explique Nicole Pousaz, archéologue cantonale vaudoise. Et de préciser que la législation soumet la prospection à autorisation uniquement pour les sites archéologiques. «Nous souhaitons modifier la loi dans le même sens que le canton de Fribourg. Le problème est urgent.»
Le Service archéologique fribourgeois entend organiser la résistance sur plusieurs fronts. En plus de la sanction des pillards, il souhaite accompagner les gens de bonne foi. «Le phénomène s’amplifie et nous aimerions responsabiliser les prospecteurs», explique Carmen Buchillier, qui précise qu’elle a reçu déjà six demandes d’autorisation depuis le printemps.
Le Service archéologique va s’atteler à un travail d’information et de sensibilisation auprès des personnes susceptibles d’être en contact avec d’éventuels prospecteurs archéologiques illégaux, comme les forestiers, les gardes-faune ou les policiers. Le Service archéologique s’en ira ensuite plaider la cause du patrimoine archéologique fribourgeois également auprès des préfectures, des communes et des associations de promotion du patrimoine archéologique et historiques active dans le canton.
Du côté de la police cantonale, on relève la difficulté du travail sur le terrain. «Comment savoir si une personne qui se balade dans la nature avec un détecteur de métaux est en train de chercher des objets archéologiques?» relève Raphaël Hermann, attaché de presse de la police cantonale. En revanche, si des policiers prennent un prospecteur en flagrant délit ou avec des objets dans son sac, ils pourront séquestrer la marchandise et transmettre le dossier à l’autorité compétente. «En tout cas, l’information est bien passée et les agents seront sensibilisés à ce problème et des contrôles seront faits», assure l’attaché de presse.
OLIVIER WYSER

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